ACTUALITÉ - La période actuelle est riche d’enseignements sur le plan jurisprudentiel. Sans en donner une liste exhaustive vu la densité du contentieux, quelques cas peuvent toutefois être cités.
Un arrêt intéressant a par exemple été rendu par la Cour d’appel de Douai, qui s’est prononcée sur la question de la nécessité de l’établissement d’un état des lieux lors du renouvellement du bail commercial comportant une extension de l’assiette des lieux loués. S’il est admis que l’établissement d’un état des lieux n’est pas exigé à l’occasion d’un renouvellement (article L. 145-40-1 du code de commerce), la cour considère que le preneur n’entre en possession de la nouvelle surface commerciale qu’au jour du renouvellement, raison pour laquelle un état des lieux doit être régularisé entre les parties (CA Douai, 13 avril 2023, RG n°22/00195).
La Cour de cassation a, de son côté, été amenée à se prononcer à nouveau sur la question de la demande en paiement d’une indemnité d’occupation à l’encontre du preneur. Au cas d’espèce, une cour d’appel a rejeté la demande en paiement de cette indemnité aux motifs que l’absence d’occupation réelle des locaux était démontrée, que le propriétaire bailleur en avait connaissance et qu’il avait la faculté d’accéder aux locaux. La Cour de cassation censure. Elle rappelle qu’il convient – pour rejeter la demande en paiement – de rechercher au préalable la remise des clés au propriétaire bailleur et le refus de celui-ci de les recevoir (Cass. 3e, 16 mars 2023, pourvoi n°21-25.002).
Toujours sur la restitution des clés, un arrêt rendu par la cour d’appel de Paris a été remarqué en ce qu’il confirme la responsabilité du liquidateur judiciaire, dans l’hypothèse où celui-ci aurait tardé à restituer les clés au bailleur. En l’occurrence, le liquidateur justifiait son retard par la nécessité préalable de procéder à la vente de biens meubles stockés dans les locaux, et ce alors même que le commissaire-priseur n’avait pas été désigné par le jugement de liquidation judiciaire et que le liquidateur ne l’a fait désigner par voie de requête que cinq mois après l’ouverture de la procédure. La cour d’appel considère que le liquidateur engage ainsi sa responsabilité à l’égard du bailleur (article 1240 du code civil) et qu’il lui revient de réparer le préjudice causé estimé à 90% des loyers qui auraient dû être perçus (CA Paris, ch. 5-9, 20 avril 2023, RG n°22/04016).
Deux autres arrêts importants, publiés au Bulletin, ont été rendus par la troisième chambre civile le 25 mai 2023 au sujet de la prescription statutaire de deux ans.
Le premier arrêt porte sur le point de départ de l’action en requalification en bail commercial d’un contrat d’une autre nature. Le postulat est que le point de départ de la prescription applicable se situe à compter de la signature du contrat initial. Dans ce premier arrêt (Cass. 3e civ, 25 mai 2023, pourvoi n°22-15946), la Cour de cassation marque cependant une évolution en considérant – dans l’hypothèse d’une succession de contrats d’occupation précaire – qu’il convient de retenir la date de signature de la dernière convention d’occupation précaire dont il est demandé la requalification, pour décompter le délai statutaire de deux ans au-delà duquel toute action en requalification serait prescrite.
Pour le second arrêt, la question posée était celle, non de la requalification du contrat, mais de la consécration de l’existence d’un bail statutaire au profit d’un preneur maintenu dans les lieux postérieurement à l’expiration d’un bail dérogatoire. Dans ce second arrêt, la Cour de cassation retient que la demande tendant à faire constater l’existence d’un bail commercial statutaire né du maintien en possession du preneur à l’issue d’un bail dérogatoire, qui résulte du seul effet de l’article L. 145-5 du code de commerce, n’est pas soumise à prescription. Ainsi, s’il était admis antérieurement que cette demande n’était pas soumise à la prescription statutaire biennale (Cass. 3e civ, 1er octobre 2014, pourvoi n°13-16.806), il est désormais acquis que cette demande n’est enfermée dans aucun délai de prescription, étant donné que le bail statutaire se forme par le seul effet de la loi et que l’action en justice n’a pour seul objectif que de le faire constater.
Surtout, c’est sur la question de l’indemnisation du bailleur lors de la libération des lieux que des débats récents ont fait couler beaucoup d’encre.
La Cour de cassation s’est tout d’abord penchée sur la question de l’indemnisation du propriétaire bailleur qui a été contraint de relouer les locaux à des conditions défavorables en raison des dégradations locatives constatées lors du départ du preneur. En se fondant sur le principe classique de la réparation intégrale du préjudice subi, la Cour de cassation, par un arrêt du 8 mars 2023, considère que la relocation à des conditions défavorables (remises de loyer) constitue un préjudice distinct de celui tiré de la remise en état des locaux, de sorte qu’il doit être indemnisé parallèlement à ce dernier (Cass. com. 8 mars 2023, pourvoi n°20-20141).
Une solution favorable au bailleur qui va toutefois être compensée par celle qui va suivre.
Par trois arrêts récents rendus le 27 juin 2024 (pourvois n°22-10.298 ; 22-21.272 ; 22-24.502), la Cour de cassation a en effet martelé sa position sur la nécessité, pour le propriétaire bailleur, de démontrer l’existence d’un préjudice effectif dans l’hypothèse où le preneur libère les lieux en mauvais état. Le principe usuel en la matière était que l’indemnisation du bailleur en raison de l’inexécution par le preneur des réparations locatives prévues au bail n’est subordonnée ni à l’exécution de ces réparations, ni à la justification d’un préjudice (Cass. 3e civ, 30 janvier 2002, pourvoi n°00-15.784). A ce titre, si la Cour de cassation a eu l’occasion de rappeler que l’indemnisation du bailleur n’est pas subordonnée à l’exécution des réparations par le bailleur ni à l’engagement effectif de dépenses (Cass. 3e civ, 15 novembre 2018, pourvoi n°17-22.130), elle marque toutefois le coup en soulignant qu’il doit démontrer – conformément au principe général de la responsabilité contractuelle supposant l’existence d’une faute, d’un lien de causalité et d’un préjudice – l’existence de son préjudice. Et le juge doit apprécier ce préjudice à la date où il statue, en prenant en considération les circonstances postérieures à la libération des locaux, telles la relocation, la vente ou la démolition. Par ces trois nouveaux arrêts, la Cour de cassation approuve ainsi le rejet de toute demande indemnitaire du bailleur dans l’hypothèse où il vend ses locaux trois mois après leur restitution sans avoir été contraint de réaliser de quelconques travaux, dans l’hypothèse où il vend en réalisant une plus-value sans travaux, ou encore dans l’hypothèse où il reloue sans engager de dépense particulière. Par conséquent, si le preneur libère les lieux en mauvais état, dégradés ou transformés, il reviendra au propriétaire bailleur de prendre toute disposition pour être en mesure de démontrer l’existence de son préjudice, et être indemnisé.
Titulaire d’un diplôme de juriste d’affaires international, Julien Berbigier a débuté sa carrière au sein de cabinets d’avocats anglo-saxons. Il prête serment en 2011 et rejoint le cabinet Walter & Garance à Tours, dont il devient associé en 2015. Avec son équipe, il prend la direction du département de droit immobilier (baux d’habitation, baux commerciaux, copropriété, ventes immobilières, recouvrement, voies d’exécution), et intervient sur l’ensemble du territoire national. Juriste passionné par l’immobilier, il milite depuis dix ans au sein de l’UNPI Val de Loire, dont il assure désormais la présidence.